dimanche 3 février 2013

Le Montluçon-Paris-Dakar

"Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas."
François Mitterand.
Lors de ses derniers voeux télévisés aux Français. 

Cette phrase je l'ai enfin comprise. Aujourd'hui. (oui je suis un peu lent...). Je voyais jusqu'à présent en elle la signature d'un homme emprunt de spiritualité et de mysticisme – et même adepte de voyance – et pour lequel la notion de destin n'est pas étrangère. La vie plus forte que la mort, c'est comme cela que je l'avais traduite, un point c'est tout. Aujourd'hui, je l'ai ressentie en moi et elle continue d'y produire ses effets.

Pendant toutes ces années de lutte contre la maladie, lutte parfois passive parce que tant d'autres ont lutté à ma place pendant que je me laissais ballotter par le sort, j'avais et j'ai toujours beaucoup de mal à accepter mon corps. Je suis blond, je voulais être brun, je suis pâle, je voudrais être un noir comme dirait Nino Ferrer, j'étais maigre, je voulais plus de masse, maintenant que j'ai quelques centimètres en trop de bidoche, je me rêve plus musclé et à présent que deux opérations m'ont infligé moultes cicatrices, je voudrais un corps intact, exempt des stigmates de la maladie. Bref, je ne m'aime pas.
Bien-sûr cela pourrait être pire, mais en matière de douleur, qu'elle soit physique ou morale, chacun possède sa propre échelle de valeur, à l'image de la règle avec curseur qu'on vous tend maintenant à l’hôpital pour évaluer votre souffrance. En fait, le seul rejet que j'ai jamais fait jusqu'à présent, c'est celui de mon enveloppe corporelle. Ce dernier mot a un sens car depuis peu, je suis en train de procéder à une véritable dissociation entre mon esprit et mon corps. Cela produit en moi plusieurs effets.

Le premier est un détachement, je considère ce corps comme un véhicule dont je ne peux changer, il me conduit là où je peux, en étant tributaire de ses pannes. J'ai l'impression en l'écrivant que la douleur physique occasionnelle pourrait être plus lointaine, moins intense, que je pourrais presque me déconnecter de toute activité sensorielle comme en état de transe, moi qui ai été toujours trop à l'écoute de mon corps, des symptômes, des failles au point d'en devenir un peu égocentrique.
Le second effet produit, paradoxalement est de pouvoir me réapproprier cette enveloppe, d'en être fier. Après tout, je n'en suis pas totalement responsable, ce n'est pas moi. Mon âme est plus forte que ce corps que je n'aime pas, mais dont j'ai la garde forcée pendant toute la durée de son existence. Cette cicatrice de trachéo à la base de mon cou que j'ai souvent cachée par un col de chemise fermé, par un tee-shirt à col rond ou d'autres stratagèmes, je conçois à présent de l'arborer comme un diadème, le symbole de ma résistance. Les stigmates des combats passés que les guerriers se montrent à la veillée pour épater les copains. Pourtant, je vois bien parfois qu'elle interroge, qu'elle dérange ou qu'elle dégoûte même. Et ce n'est rien par rapport à celle qui défigurent mon torse, l'une barrant ma poitrine d'une aisselle à l'autre en soulignant mes pectoraux comme si un chirurgien fou m'avait dessiné des seins d'un trait assez sûr et relativement discret, l'autre comme une immense virgule du sternum à mon flanc droit, beaucoup moins artistique, plus large, avec quelques adhérences en prime et enfin la plus récente au niveau du bas ventre, de l'aine au pubis... Aucun dessinateur n'aurait imaginé dessiner un torse comme celui-là, à part peut-être Tim Burton. La comparaison avec une créature dessinée est encore plus vrai si je me considère de plus en plus le "moi" ayant trait à l'esprit et non au corps. Je suis comme devant un avatar. Ce Sim's, je vais tenter de le « personnaliser » un peu, l'améliorer dans la mesure de mes faibles possibilités. Je lui donne l'apparence la plus avenante possible, j'essaye de lui donner d'autres réflexes, de lui apprendre à sourire un peu plus, à articuler plutôt que marmonner.
Et par voie de conséquence, j'essaye aussi de modifier son moral, son âme. J'essaye de l'éduquer, de lui apprendre en polissant un peu ses angles moraux, en lui apprenant à résister des pensées mégalomanes, à tenter de trouver une cohérence interne, une rigueur, un respect des règles, à tenter de s'élever intellectuellement plutôt que de céder au défaitisme.

J'ai longtemps admiré certains tatouages sans pour autant l'accepter pour moi-même. D'une part parce que cela ne va pas à tout le monde, et d'autre part parce que je ne voyais pas trop l'intérêt de sacager ma peau qui en avait déjà assez vu. Et puis encore fallait-il tolérer la douleur de plusieurs séances, sans parler du budget qu'on y consacre. Mais là encore, cette distanciation m'inciterait plutôt à décorer ce corps que je n'aime pas, sans doute avec l'espoir de pouvoir en reprendre possession, de pouvoir me le réapproprier en le modelant comme je l'entends, alors qu'il a été jusque là de l'argile pétrie par la médecine et la maladie.
De la même façon, j'envisage sérieusement de commencer la gym et la musculation. Disons que cela me paraît envisageable alors que jusqu'à présent, je considérais que c'était peine perdue.

Cette nouvelle façon de penser, sans doute qu'on la jugera positive, est sans doute le fruit de la prise d'antidépresseurs. Une béquille dont j'ai besoin depuis plusieurs semaines. Ils m'ont aidé à dépasser une situation de crise et d'échec sur le plan professionnel, mêlée à de nombreux doutes existentiels doublés d'une mélancolie récurrente. Sans doute m'ont-ils permis sans que je m'en rende compte de progresser dans cette distanciation.

Je suis en plein Paris-Dakar. Sauf que moi je le fais en deux-chevaux. Déjà sur le prologue à Montluçon, j'en ai vraiment bavé. Si le départ s'est fait sans trop de heurts, au fur et à mesure des étapes, ma deudeuch s'est mise peiner dans les côtes, m'adressant des signes sévères de fatigue. J'ai calé plus d'une fois et même j'ai cru devoir abandonner. Arrivé à Paris, le moteur était mort. Après plusieurs semaines d'assistance, on a changé plusieurs pièces et je suis reparti, clopin-clopant. Puis ayant retrouvé tout ma puissance, j'ai pris une vive allure avant de nouveau de devoir faire appel aux mécanos. Moins de casse que la première fois, je repars de plus belle. Je suis debout sur l'accélérateur, surtout dans les descentes. J'ai un véhicule de merde qui paye pas de mine à coté des gros trucks et des 4x4 rutilants. C'est clair que je préférerais faire la course dedans, mais j'ai un avantage par rapport à eux : j'ai la meilleure assistance au monde. Assistance Publique Hôpitaux de Paris : avec ça mon pote, tu peux aller loin. C'est la Sécu qui sponsorise : j'ai un crédit illimité. C'est pas le bonheur mais un sacré coup de chance. Les candidats étrangers sont souvent moins bien lotis de ce côté là. Force est de constater que malgré toutes les péripéties, je suis encore là. D'autres, malgré leurs beaux véhicules ont abandonné avant moi... Oh bien-sûr, je ne rattraperai jamais le retard, mais qui sait ce que le reste de la course me réserve ? Au moins de jolis paysages et de belles rencontres, je laisse la compétition avec tout ce qu'elle comporte de conflits et de morgue à d'autres. Profitons.

D'après les mécanos vus hier, mon véhicule déconne à nouveau, l'essence menace de se figer dans les tuyaux, la solution s'appelle érythraphérèse m'a-t-on dit : il va falloir filtrer, virer ce qui bouche les filtres. Encore quelques nouvelles joies en perspective : ça tombe bien, dans mon album Panini des examens et actes médicaux, je ne l'avais pas celui-là ! Chouette, je vais pouvoir faire un nouvelle article ici...

Je ne sais pas si je suis sur le point de vous quitter, mais je crois aux forces de l'esprit comme dirait le vieux. Je crois que mon esprit est plus fort que ce putain de corps. Le pilote plus fort que la mécanique et nos exploits survivront à la ferraille qui rouillera bien avant que ne s'éteignent les souvenirs.

Post-post scriptum de quelques années après : comme le ludion, un coup en haut, des coups en bas... J'optimisme va et vient et la question du corps n'est pas vraiment résolue, surtout quand la moindre anicroche me rappelle à cette détestation. Je louvoie. Je fais des choses un peu dingues parfois, j'en parlerai dans un autre article...

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