lundi 10 octobre 2011

Fistule or not fistule ?

Parmi les joies d'être dialysé, outre le temps consacré à l'affaire, outre la fatigue qui s'en suit parfois, outre le régime hydrique (vous pissez moins ou plus : donc il faut se rationner en eau & liquides, le "trop plein" étant enlevé par la dialyse, dans une certaine limite...) il faut bien connecter la machine à votre corps pour pomper le sang, et vous le rendre.

Deux méthodes : le cathéter et la fistule. J'ai eu les deux. Le cathéter est un tuyau connecté à votre jugulaire, qui passe sous la peau sur une vingtaine de centimètres, et ressort au niveau du pectoral. Généralement le "cathé" comporte deux voies qui se termine par un petit connecteur avec des bouchons. Le tout est fixé au moyen d'un fil et sera planqué sous un pansement qu'il faudra changer à chaque fois.

Inutile de vous dire que se trimballer avec un pansement sur le torse et un tuyau qui est un peu le témoin de votre maladie est un peu dur pour le moral. Certes, c'est très pratique car cela évite qu'on vous pique le bras à chaque fois et vous pouvez bouger comme vous le souhaitez pendant la dialyse. Cela ne modifie pas spécialement votre corps, une fois retiré, il ne restera qu'une petite cicatrice à l'endroit où le cathé sortait. Pour retirer le cathé, il suffit de tirer dessus et d'appuyer au niveau de la jugulaire pour éviter la formation d'un hématome, ce geste est pratiqué à l'hôpital et implique parfois un petit geste chirurgical pour dégager l'engin au point de sortie lorsque la peau a adhéré. Par contre, le fait que vous ayez un cathéter implique d'être dialysé en centre hospitalier ou dans des centres lourds (c'est à dire avec une présence médicale) notamment pour les questions d'asepsie quand à l'usage du cathé.

Pour ma part, ça me posait pas mal de problèmes de supporter cet accessoire. N'aimant plus vraiment mon corps, ce n'est pas vraiment facile d'avoir une libido, qui suppose d'être bien dans sa tête, d'accepter de se montrer à l'autre dans cet état... Ce n'est peut-être pas le genre de question qu'on se pose quand on est un papy dialysé, mais à 35 ans (bon ok, 36.... mais au fait, je ne vous avez pas dit que j'avais 6 ans ?) c'est le genre de question et de problème qu'on peut avoir. Cette période a été assez pénible mais l'urgence d'être dialysé impliquait d'en passer par là. A cette période, je prenais aussi des petites pilules roses, histoire de supporter moralement tous ces changements et emmerdements de vie – same player, shoot again – mais tout de même, me trimballer avec cet accessoire, c'était d'un chiant... (disons les mots !)

L'autre solution, la fistule, n'est possible qu'après une intervention et un temps de développement. Bon là j'explique, parce que si vous ne connaissez pas le sujet, cela doit vous paraître obscur... Il faut dire que j'ai mis les pieds dans le problème en apprenant au fur et à mesure. Quand on vous propose une fistule, vous dites : quesaquo ? Les explications sont vagues, parce qu'au fond, c'est le quotidien des médecins, que ça leur paraît à tous évident, mais pour vous, pas. J'avais le DrRéanimanana qui me suit pour la greffe qui me disait « non, c'est pas chouette et ça se bouche...gardez le cathéter ! » et le néphrologue du Grand Hopital Énigmatique Parisien (GHEP), le professeur Chewingum, qui me disait « si si si (mâche mâche) il faut faire la fistule (mâche mâche) il faut pas attendre, allez-y... (mâche mâche) »

Et quand je demandais plus d'explications, Réanimanana me disait « Avec un cathéter, on peut le garder des mois et des mois, ça ne pose pas de problème, juste un peu gaffe à l'hygiène, aux pansements » et Chewingum me disait « oui mais bon (mâche mâche) vous savez pas combien de temps vous allez attendre pour la greffe (mâche mâche) fistule ! fistule ! Vite... (mâche mâche) »

Et puis bon, ça ressemble à quoi une fistule ? C'est quoi ? A ce stade vous n'êtes pas spécialement avancé. Z'avez beau regarder sur internet, c'est pas forcément plus clair.

Il s'agit de faire une dérivation de l'artère de votre bras, sur une veine. Il se produit un "court circuit", votre artère continue d'irriguer votre bras, mais une partie du sang et routé vers une petite veine qui du coup, se développe. La veine superficielle qui était d'un petit calibre devient un gros tuyau dans lequel il sera facile de piquer à chaque fois, à deux endroits différents, l'un pour prendre le sang, en amont, et en aval pour le rejeter, une fois filtré par la machine.

Ce qu'on ne vous dit pas ou qu'on ne vous montre pas (en tout cas, moi j'ai découvert en fréquentant les malades...) c'est que les points de ponction, à force d'être piqués se développent sous forme de très grosses boursouflures sur les bras. C'est extrêmement moche. Une intervention chirurgicale peut permettre de résorber ces boules une fois qu'on a décidé de changer définitivement de point de ponction, reste alors une cicatrice – de plus – et ce sera pareil sur les nouveaux points de ponction.

Au début, je suis adressé à un grand grand grand spécialiste de la fistule, dans une clinique de l'ouest parisien. Je pensais qu'à un certain âge, même bardé de médailles et d'honneurs, même grand spécialiste, on prenait un jour sa retraite, surtout quand on a les mains qui tremblent un peu. J'ai beaucoup de respect pour ce monsieur qui semble très au fait de son affaire, même s'il passe son temps à engueuler sa secrétaire devant les patients, ce qui me dérange. Je dis avec un grand sourire : « J'aime bien vos scènes de ménage à la Une gars-Une fille, vous faites ça devant tout le monde ou bien c'est juste pour moi ? ». La secrétaire sourit intérieurement. Il ne doit pas y avoir beaucoup de gens qui prennent son parti ouvertement...

Après des échographies des veines du bras, le grand grand grand spécialiste pense que seule la veine située sous le bras sera la plus à même d'être transformée en fistule, ce qui sera plus compliqué pour piquer et pas très pratique pour poser le bras durant 4h de dialyse, 3 fois par semaine... Je suis pas très chaud. Lui non plus d'ailleurs, il adresse des courriers un peu dubitatifs au professeur Chewingum. Ce qui le fait reculer, c'est que j'ai 40.000 plaquettes, c'est à dire le sang qui a du mal à coaguler, or dans cette clinique, on ne passe pas de plaquettes pendant les interventions. Ne vaut mieux-t-il pas qu'on fasse la fistule à l'hosto ?

Finalement, après tergiversations, je décide de prendre un autre avis. Je suis adressé à l'institut Monragondin à une chirurgienne dont tout le monde m'a dit beaucoup de bien (notamment les infirmières de Réa-Chir au GHEP). Le Dr Compagniecréole affiche la cool attitude. Moi pas : je commence un peu à en avoir marre d'être baladé. Elle répond à mes questions, m'affirme que non, on peut très bien se débrouiller avec la veine sur le dessus du bras, plus pratique, qu'il n'y a pas besoin de passer de plaquettes, que l'intervention est d'une banalité affligeante. Je ressors regonflé, et de fait, quelques semaines plus tard, tout se passe comme sur des roulettes. Une cicatrice de plus au creux du coude...

Dans quelques mois, on pourra commencer à piquer dans la veine. Une fois qu'on sera certain qu'il n'y a pas de problème, on pourra retirer le cathéter. En laissant une petite cicatrice de plus, au dessus du sein...

La subtilité avec les fistules, c'est qu'effectivement, comme le disait Réanimanana, "ça se bouche" parfois... Et ça, ça dépend aussi beaucoup des gens, de leurs veines, de la souplesse des tissus, etc. Pour ma part, j'ai découvert avec joie que je fais partie des 20% de patients dont on doit bricoler la fistule régulièrement. Une joie de plus dans ma vie !

Concrètement, il peut se produire des sténoses, c'est à dire des rétrécissements sur le circuit veineux. Du coup, le débit de la fistule n'est plus bon, et la dialyse de moins bonne qualité, car le sang qui est rejeté est directement ré-aspiré par l'autre point de ponction... La solution est la fistulographie : on va injecter un produit opaque sur les radiographies pour voir où se trouvent les sténoses et comme pour dilater les coronaires chez ceux qui font une crise cardiaque, on introduit une sonde avec un ballonnet qu'on va gonfler pour dilater les vaisseaux.

C'est ma première fistulo-graphie ! C'est ma première fistulo-graphie ! Comme dirait la chanson... Et c'est bien une suprise-party : cette intervention fait atrocement mal. Ah oui ? On ne vous avez pas prévenu ?

A l'hôpital de la Miséricorde, je ne sais pas trop ce qui m'attend. Après avoir poireauté, poireauté, et être baladé, accueilli un peu comme un chien dans un jeu de quille, on me confie à un jeune médecin que je ne sens pas très assuré et qui va consulter souvent son collègue qui opère à côté. Ca ne met pas vraiment en confiance, pas vrai ? Une fois allongé sur la table, le bras sous un champ stérile, insensibilisé, je sens un liquide chaud qui coule sur le coude, à l'endroit où le médecin rentre la sonde. « Ne vous inquiétez pas, c'est le sang qui coule. ». Je ne sais pas si c'est vraiment ce qui va me tranquilliser... Finalement la dilatation des vaisseaux est un moment assez terrible, une douleur irradie dans tout l'épaule jusqu'à la tête, et dans le bras, c'est à se tordre et à crier. Je ne m'en prive pas... Et je reste groggy quelques minutes après l'opération, le temps de reprendre mes esprits et me dire « putain, si c'est à chaque fois comme ça, ça promet. J'aurais mieux fait d'écouter Réanimanana et de supporter ce putain de cathé quelques mois...même un an ou deux ! »

Trois mois plus tard, j'ai à nouveau des problèmes avec ma fistule. Mais cette fois, j'ai changé de centre de dialyse et le néphrologue, le Dr Khebab, m'adresse à la clinique de La Jungle. Je me dis « Houlà, une clinique, normalement, y'a pas mieux que l'hôpital de la Miséricorde, non ? ». Finalement, c'est tout le contraire. On m'accueille avec le sourire. Sur la table, contrairement à l'hosto, on protège le corps avec des tabliers de plomb pour prendre le minimum de radiations dans l'abdomen. A la miséricorde, même les infirmiers ne portaient pas leurs tabliers « parce qu'ils sont mal fichus... » (bon après tout, c'est leur problème, mais s'ils ont une maladie professionnelle à 50 ans, se plaindront-ils ?).

Le médecin pique en une seconde, pas le temps de sentir quoique ce soit, pas d'écoulement de sang comme à la Miséricorde... Le geste est sûr. Et pour la dilatation des vaisseaux, on me shoote au Kalinox, un peu de protoxyde puis ensuite une sédation puisque je montre des signes de douleur. Au final, l'expérience est beaucoup moins traumatisante, plus supportable. Pourquoi est-ce qu'on ne prend pas en compte la douleur à l'hôpital de la Miséricorde ? Mystère...

A la fin de l'intervention, les médecins prennent le temps de discuter, sur la table, ils me montrent sur l'écran ce qu'ils font. Et je me dis que si je dois refaire des fistulo, ce sera à la clinique de La Jungle et pas ailleurs.

Ca tombe bien, deux mois plus tard, c'est à dire cette semaine : rebelote. Cette fois, il faut vraiment me shooter car on va procéder à plusieurs dilatations et que 20 bars de pression dans le ballonnet son nécessaire pour venir à bout des sténoses... On pose aussi un ressort, un stain, pour que les vaisseaux ne se rétrécissent pas à nouveau, même si la pose d'un ressort à cet endroit n'est pas idéale, c'est toujours compliqué pour rattraper le coup après et redilater en cas de besoin... L'avenir, ce sont des ballonnets qui sont enduits de produits qu'on ira déposer directement aux endroits où c'est nécessaire, ces produits agissants durablement pour dilater les vaisseaux. C'est déjà utilisé pour les coronaires, mais encore pour les fistules... Aujourd'hui je me remets de cette intervention qui m'a laissé une petite douleur sous la clavicule. J'espère que ce n'est que passager et que le stain n'engendrera pas de sensations désagréables ou de problèmes à l'avenir... Affaire à suivre !

Ce qu'il y a de sûr, c'est que la fistule créée, c'est un problème de plus à suivre, même une fois greffé... On ne revient pas en arrière. Alors fistule or not fistule ? Je n'ai pas tranché la question. C'est surtout une question de ressenti personnel. Mais si jamais vous êtes placé devant ce choix, n'hésitez pas à aller faire un tour dans des centres d'autodialyse pour rencontrer des malades et les infirmières, qui pourront vous dire concrètement comment on le vit. N'hésitez pas à prendre plusieurs avis médicaux également, comme toujours... Après tout, c'est VOTRE peau.

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